Décembre 2013
Interview accordée à Romain Bely (Journaliste au quotidien Sud Ouest) pour l'écriture d'un article sur la copie de mobilier industriel.
Design industriel : la broc’ en toc
Antiquités
La mode du meuble en métal à ses travers. En Asie, des grossistes ont flairé le bon filon et inondent le marché de copie, aidés par des brocanteurs.
English, lesson 1, part 1. Brian, le brocanteur, lit ses mails. «_We would like to offer you recycled industrial furniture items in attached catalogues, let us know about your interest in these items._ »
La phrase est ici facile à intégrer : « Nous aimerions vous proposer des meubles industriels indiens recyclés, faites-nous savoir quels produits vous intéressent. » Dans la suite de l’exercice, Brian commandera ses meubles en métal tout juste fabriqués en Inde. Pour finir, il vendra ces vestiaires, lampes, ou tris postaux dans des brocantes.
Mailing massif
Le mail a été envoyé par un exportateur de Jodhpur vers une centaine de professionnels de la brocante en France et en Europe. Il est accompagné d’un catalogue fourni en pièces jointes avec des prix en dollars.
« J’ai été contacté comme beaucoup de professionnels, raconte le patron d’Indus spirit, brocanteur isérois. Les Indiens font du mailing massif. Nos mails sont publics, ils nous trouvent sur Google. » Il n’a pas répondu au mail groupé. Pas plus que Brian qui n’existe pas.
Guy Bacalou, en revanche a succombé. Ce brocanteur toulousain, croisé dans une foire paloise à l’automne, expose des meubles anciens et nouveaux venus du même endroit. «_Le métal, c’est l’Inde, explique ce professionnel. On achète à des grosses usines du Rajahstan. Ce meuble à tiroirs, je l’achète 90 € là-bas. Une fois payés le transport et la TVA, au final, je le vends 290 € ici. »
Guy Bacalou assure ne jamais mentir sur la provenance de ses meubles. Il explique d’ailleurs très librement son choix. « On est en crise, on est obligé de faire de l’ancien et du neuf », plaide le commerçant. « Le neuf, ça permet de vivre et de faire un peu d’ancien. Le problème, c’est que l’ancien, il est toujours un peu cassé, un peu abîmé. Et les gens quand ils ont le choix, ils prennent quoi d’après vous ? Ils choisissent la pompe ! »
Avoué ou dissimulé, la surprise réside toutefois dans ce constat : on trouve de la « pompe », c’est-à-dire de la copie d’ancien dans des foires à la brocante.
« À partir du moment où on fabrique des objets qui ont l’air ancien et qui ne le sont pas, c’est trompeur et donc inacceptable, sermonne Bernard Irrigaray, co-organisateur des foires à la brocante de Pau et Soumoulou. C’est malhonnête. »
Le président du national du commerce de l’antiquité, de l’occasion (SNCAO) partage ce courroux. « Dans la majorité des cas, il y a intention de tromper, regrette Michel Gomez. C’est regrettable. Ce sont des guignols, des pitres qui portent un tort considérable à la profession. »
Le cas du brocanteur toulousain n’est pas isolé. « Il n’y a guère plus de mobilier de qualité sur le marché, analyse un spécialiste du meuble design à la Compagnie des experts agréés (CEA). Le boom des anciens ateliers refaits en lofts a lancé la mode il y a une dizaine d’années. Les médias ont fait le reste, et maintenant, le moindre tabouret en métal est devenu une icône. »
L’effet de mode n’a pas mis bien longtemps à susciter les convoitises. « Comme d’habitude quand il y a une mode, nos amis chinois et indiens se sont mis à fabriquer des copies, continue l’expert de la CEA. Depuis 5 ans, ils inondent le marché. »
Les professionnels ont bien tenté de mettre des garde-fous mais ils semblent bien limités. La charte des organisateurs de foires et salons
éditée par la SNCAO contient par exemple la mention « pas de copies neuves ». De même, on y lit que le brocanteur doit « vendre l’objet pour ce qu’il est ».
Pas d’illégalité
En clair, si un vestiaire a été fabriqué en Inde il y a quelques mois, on ne doit pas laisser supposer que des ouvriers y ont baladé leurs mains pleines de cambouis dans les années 1950… Le commerçant peut donc rentrer dans les clous s’il ne cache pas l’origine de sa marchandise.
Quand bien même, une infraction à cette règle serait constatée, il n’existe de toute façon aucune loi interdisant la vente d’objets neufs dans les foires.
« Dans les brocantes, vous n’avez aucune garantie sur l’authenticité d’un objet, affirme Robert Lorenzelli, président de la CEA. Le seul moyen de se retourner est de parvenir à un accord à l’amiable. »
Facture détaillée
L’idéal est donc d’exiger qu’apparaissent sur la facture les mentions «_mobilier d’époque », « style », « provenance » ou encore « modifications éventuelles ». Mieux vaut toutefois compter sur son bon sens à l’achat.
« Un meuble d’atelier transporte un vécu, rappelle Stéphane Tillos, qui passe six jours sur sept à retaper ses meubles dans son atelier de Poey-de-Lescar. C’est un meuble auquel on ne faisait pas forcément attention. Il porte des stigmates. »
D’autres techniques imparables permettent de démêler le vrai du faux. Les meubles industriels originels sont rivetés à chaux et sertis alors que les reproductions usent de soudures. Enfin, le poids de ces objets est aussi un bon indicateur. « La chaise Singer était fabriquée en fonte moulée, explique par exemple l’expert de la CEA. Les reproductions sont aluminium. »
A fake ? You must be joking !
Romain Bely
Retrouvez l’article sur le Journal Sud Ouest